Raconter la Bible autrement : la méthode Denimal

Raconter la Bible autrement : la méthode Denimal

24 novembre 2025

Dans le cadre de la revue Itinéraires, publication des librairies chrétiennes de la CLC, Christel Poujol (librairie 7ici, Paris) s’est entretenue avec Éric Denimal, auteur des ouvrages Isaac et Abraham de la trilogie Le clan des Patriarches.

Avec Isaac, vous poursuivez la trilogie Le clan des patriarches commencée l'année dernière avec Abraham. Qu’est-ce qui vous a donné envie de revisiter ces grandes figures bibliques sous cette forme de roman ?

Je suis un passionné d’Histoire et un lecteur régulier d’auteurs comme Christian Jacq qui romance les épopées de l’Égypte ancienne, ou Ken Follet, remarquable écrivain narrateur de passionnantes périodes historiques. Depuis longtemps me titillait l’idée de relater des récits bibliques pour en faire des sagas à rebondissements. Et j’ai trouvé un éditeur qui voulait bien oser cette aventure et ce type d’écriture. Le ballon d’essai était tout trouvé avec les patriarches de la Genèse. Puisque l’on parle du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, pourquoi pas revisiter ces vies hautes en couleurs et en péripéties. J’ai eu envie de mettre en scène ces vies pour rendre compte de ce qui est captivants, enthousiasmant et même attachant dans ces biographies.

Simultanément à ce projet, une église m’a invité tout un week-end pour parler d’Abraham. J’ai testé ma façon de relater les faits à cette occasion et j’ai noté que mes auditeurs étaient non seulement ravis, attentifs, passionnés mais demandeurs. Cela m’a encouragé à utiliser ce ton de conteur. Côté cinéma, voyez le succès de « The Chosen » : c’est une autre façon de raconter l’histoire biblique, et cela intéresse beaucoup ! Les gens disent retrouver de la fraîcheur et l’envie de relire les textes.

Il s'agit donc de roman historique, comment avez-vous articulé rigueur historique, fidélité au texte biblique et liberté de l'écrivain dans Isaac ?

Je parle plus de mise en scène que de roman. Les récits bibliques, que ce soit pour Abraham, Isaac ou Jacob, sont suffisants pour ne pas avoir à ajouter trop au scénario déjà présent. Naturellement, le matériau premier, c’est la Genèse. Inutile d’ajouter des intrigues, de la tension, de la jalousie, du mensonge, de la violence, voire du sexe et de la mort. Les pages en sont pleins ! Ensuite, puisqu’il faut penser ambiance, décor, paysage, mœurs, coutumes, géographie… il faut se documenter. Les dictionnaires bibliques, les ouvrages d’archéologie, les bibles d’études annotées… encombrent mon bureau. Il y a aussi ce que les commentateurs et notamment les théologiens juifs ont pu écrire sur ces personnages et ces époques. J’ai lu beaucoup de ces ressources pour éviter des incohérences, pour découvrir des interprétations possibles et des lectures différentes. C’est incroyable de voir ce que les midrashim, qui sont des commentaires juifs, peuvent proposer comme pistes de réflexions. Parfois, ils comblent les vides par des anecdotes surprenantes et ils complètent le texte biblique avec plus ou moins d’audace. Là, je veux rester prudent même si j’ai parfois emprunté à tel ou tel midrash, un élément qui n’est pas dans la Torah. Notamment pour parler de la vie du père d’Abraham, Térah. C’est là la liberté de l’écrivain ! Avec Isaac, par exemple, j’ai pris la liberté d’établir une relation amicale entre Ismaël et lui, pensant que la haine des mères ne devait pas nécessairement se répercuter sur les enfants. J’ai lu, en effet, dans le texte biblique, qu’Isaac et Ismaël étaient ensemble pour enterrer Abraham ; pour moi, cela voulait dire qu’ils étaient en relation, et en relation amicale, si ce n’est fraternelle. Si j’ose une certaine liberté d’auteur, cela reste une liberté surveillée 

Selon vous, en quoi la figure d’Isaac peut-elle encore parler à nos sociétés modernes ?

Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre pour « nos sociétés modernes », mais pour moi, Isaac a plein de choses à dire et à montrer. Il y a la foi qu’il a en son père, même lorsqu’il comprend qu’il risque d’être sacrifié ! Il y a la foi en un Dieu qu’il cherche, et qu’il prie puisqu’il intercède pour que cesse la stérilité de sa femme. Il y a sa gestion de l’amitié avec ceux qui l’entourent. Il y a le besoin de trouver sa place lorsqu’on est coincé entre un père comme Abraham, et un fils comme Jacob : il est bien dans la trilogie des patriarches. Il y a aussi ses erreurs et ses tâtonnements. Je trouve le personnage attachant, fragile et fort à la fois. Il y a chez lui une espèce d’humilité : on peut être un grand personnage et préférer l’ombre à la lumière.

Votre ouvrage La Bible pour les Nuls s’est vendu à plus de 100 000 exemplaires, traduit en italien, en espagnol… un véritable succès. Selon vous, qu’est-ce qui explique un tel engouement pour un texte aussi ancien et parfois complexe ?

Il me semble que le grand public est curieux quant aux choses de Dieu, même et surtout d’un Dieu inconnu. Il a des attentes et des besoins spirituels mais il n’ose pas toujours franchir la porte d’une église ou celle d’un temple. L’Église n’a pas bonne réputation dans un pays qui tient à se détacher de tout dogme et de toute organisation jugée enfermante. Ce que l’on trouve dans « La Bible pour les Nuls » est une présentation de la Bible relativement traditionnelle comme on en trouve dans de nombreux ouvrages publiés dans nos maisons d’éditions confessionnelles. Mais comme le grand public se méfie aussi de ce qui est confessionnel, il n’ira pas chercher ses informations dans ce secteur. Alors, quand une maison non confessionnelle, connue pour ses livres pédagogiques de qualité, propose une information encyclopédique mais accessible sur la Bible, le grand public est au rendez-vous. Il peut s’instruire sans avoir le sentiment d’être récupéré. Les gens ont envie de savoir ce que contient la Bible sans être obligé de passer par une institution religieuse. Je me souviens de l’éditrice qui m’a accordé sa confiance pour rédiger ce livre. Elle me disait : « Ce qui m’intéresse chez vous, c’est le côté théologien qui apporte la connaissance nécessaire, et le côté journaliste qui rédige pour être compris. Mais vous ne devez pas seulement écrire comme un journaliste, vous devez éviter d’être théologien. Vous ne pourrez pas dire que la Bible est la Parole de Dieu, alors que c’est ce que vous croyez, mais vous devrez dire ‘Pour certains, la Bible est la Parole de Dieu’ . Si vous acceptez cette mission…»

@Par Éric Denimal
Le 8 novembre 2025 

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